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ACTE II, SCENE IV[modifier]
Carle : Monsieur, je vous apporte une nouvelle qui est fâcheuse pour votre amour.
Léandre : Comment ?
Carle : Vos égyptiens sont sur le point de vous enlever Zerbinette, et elle-même, les larmes aux yeux, m’a chargé de venir promptement vous dire que si, dans deux heures, vous ne songez à leur porter l’argent qu’ils vous ont demandé pour elle, vous l’allez perdre pour jamais.
Léandre : Dans deux heures ?
Carle : Dans deux heures.
Léandre : Ah ! Mon pauvre Scapin, j’implore ton secours.
Scapin, passant devant lui avec un air fier : " Ah ! Mon pauvre Scapin : " je suis " mon pauvre Scapin " à cette heure qu’on a besoin de moi.
Léandre : Va, je te pardonne tout ce que tu viens de me dire, et pis encore, si tu me l’as fait.
Scapin : Non, non, ne me pardonnez rien. Passez-moi votre épée au travers du corps. Je serai ravi que vous me tuiez.
Léandre : Non. Je te conjure plutôt de me donner la vie, en servant mon amour.
Scapin : Point, point : vous ferez mieux de me tuer.
Léandre : Tu m’es trop précieux ; et je te prie de vouloir employer pour moi ce génie admirable, qui vient à bout de toute chose.
Scapin : Non : tuez-moi, vous dis-je.
Léandre : Ah ! De grâce, ne songe plus à tout cela, et pense à me donner le secours que je te demande.
Octave : Scapin, il faut faire quelque chose pour lui.
Scapin : Le moyen, après une avanie de la sorte ?
Léandre : Je te conjure d’oublier mon emportement, et de me prêter ton adresse.
Octave : Je joins mes prières aux siennes.
Scapin : J’ai cette insulte-là sur le coeur.
Octave : Il faut quitter ton ressentiment.
Léandre : Voudrois-tu m’abandonner, Scapin, dans la cruelle extrémité où se voit mon amour ?
Scapin : Me venir faire, à l’improviste, un affront comme celui-là !
Léandre : J’ai tort, je le confesse.
Scapin : Me traiter de coquin, de fripon, de pendard, d’infâme !
Léandre : J’en ai tous les regrets du monde.
Scapin : Me vouloir passer son épée au travers du corps !
Léandre : Je t’en demande pardon de tout mon coeur ; et s’il ne tient qu’à me jeter à tes genoux, tu m’y vois, Scapin, pour te conjurer encore une fois de ne me point abandonner.
Octave : Ah ! Ma foi ! Scapin, il se faut rendre à cela.
Scapin : Levez-vous. Une autre fois, ne soyez point si prompt.
Léandre : Me promets-tu de travailler pour moi ?
Scapin : On y songera.
Léandre : Mais tu sais que le temps presse.
Scapin : Ne vous mettez pas en peine. Combien est-ce qu’il vous faut ?
Léandre : Cinq cents écus.
Scapin : Et à vous ?
Octave : Deux cents pistoles.
Scapin : Je veux tirer cet argent de vos pères. Pour ce qui est du vôtre, la machine est déjà toute trouvée ; et quant au vôtre, bien qu’avare au dernier degré, il y faudra moins de façons encore, car vous savez que, pour l’esprit, il n’en a pas, grâces à Dieu ! Grande provision, et je le livre pour une espèce d’homme à qui l’on fera toujours croire tout ce que l’on voudra. Cela ne vous offense point : il ne tombe entre lui et vous aucun soupçon de ressemblance ; et vous savez assez l’opinion de tout le monde, qui veut qu’il ne soit votre père que pour la forme.
Léandre : Tout beau, Scapin :
Scapin : Bon, bon, on fait bien scrupule de cela : vous moquez-vous ? Mais j’aperçois venir le père d’Octave. Commençons par lui, puisqu’il se présente. Allez-vous-en tous deux. Et vous, avertissez votre Silvestre de venir vite jouer son rôle.