LE CRUEL EMPEREUR ET LA FEMME FIDÈLE
La famille Meng habitait
juste à côté de la famille Zhang. Leurs jardins se touchaient et seul
un mur de pierre les séparait. Une année, les Meng plantèrent une
courge le long du mur. Les Zhang de leur côté plantèrent eux aussi une
courge le long du mur. Les plantes grandirent, se développèrent et
grimpèrent dans les interstices des pierres pour arriver au sommet où
elles se rencontrèrent et ne formèrent plus qu’une seule et même
plante.
La floraison fut magnifique et d’une
fleur naquit un fruit exceptionnellement gros. Arrivé à maturité, d’un
joli jaune d’or, la famille Meng décida de le cueillir. La famille
Zhang eut la même idée. Une querelle s’ensuivit entre ces deux
familles qui avaient vécu en bonne intelligence depuis des années.
Pour venir à bout de cette querelle, les deux familles décidèrent
finalement de la couper en deux parties égales. Lorsque la courge fut
coupée, quelle ne fut pas la surprise des Meng et des Zhang de voir en
son cœur une adorable petite fille. Les deux familles décidèrent de
l’élever en commun et elle recu le nom de Meng Zhang.
Cette histoire se déroulait pendant le
règne de l’empereur Shi Huang resté célèbre par son injustice et sa
cruauté. Il vivait dans la crainte des Huns des envahisseurs qui ne
lui laissaient pas de répit et entraient toujours par le Nord du pays.
Las de leurs invasions incessantes, l’empereur décida de construire un
mur tout le long de la frontière Nord de la Chine. Hélas ! les
architectes n’étaient guère brillants et à peine avait-on terminé une
partie du mur qu’une autre s’écroulait. Les années passaient et jamais
le mur n’était terminé.
Un jour, un sage du royaume vint trouver
l’empereur et après s’être incliné respectueusement devant lui il dit
: " Sire, on ne peut construire un mur devant s’étendre sur dix mille
lieues de longueur sauf si dans chaque bloc d’une lieue on enferme un
homme. L’esprit de l’homme veillera alors sur ce bloc et le mur
deviendra indestructible. " L’empereur qui ne se souciait guère de son
peuple trouva l’idée excellente et suivit l’idée pleine de sagesse de
son sujet. Dans chaque région, chaque ville, chaque maison, ce fut
l’horreur. Des hommes, des jeunes filles, des garçonnets furent saisis
et emmurés vivants.
Un autre sage du royaume vint trouver
l’empereur et après s’être incliné respectueusement devant lui il dit
: " Sire, votre façon d’utiliser le peuple pour édifier votre mur
terrifie le pays en entier. Il se pourrait que le peuple se révolte
avant même que le mur ne soit terminé. Il se fait qu’un homme nommé
Wan demeure pas très loin du palais. Wan signifie dix mille. Prenez
cet homme car à lui seul il suffira pour les dix mille lieues car wan
– dix mille – est son nom. " L’empereur se réjouit de cette sage
parole et ordonna d’aller chercher Wan et de le conduire au mur.
Lorsqu’il l’apprit Wan s’enfuit.
Il courût fort longtemps et arriva
bientôt en vue d’un splendide jardin séparé par un mur de pierres. Au
milieu du jardin, il trouva un grand bananier qui devint sa cachette.
Un soir alors que la lune était pleine, la belle Meng Zhang, devenue
une superbe jeune femme, descendit dans le jardin. Wan l’aperçut et en
tomba éperdument amoureux. Il descendit de sa cachette et lui demanda
de devenir sa femme. Meng Zhang accepta et ils se marièrent dès le
lendemain.
Ils étaient en train de fêter joyeusement
leurs noces lorsque les soldats de l’empereur firent irruption dans le
jardin et s’emparèrent de Wan qu’ils emmenèrent près du mur. Meng
Zhang resta seule et profondément malheureuse. Son union fut de très
courte durée et pourtant elle pensait à lui avec nostalgie et sentait
au fond de son cœur un amour sincère, véritable et immense.
Désespérée, elle décida de partir à la recherche du corps de son
époux. Elle affronta les éléments : la pluie, la neige, les brûlures
du soleil. Elle passa à travers les plaines et les montagnes, les
fleuves et les lacs et parvint au prix de grandes souffrances et de
fatigues au pied du mur. Devant son immensité, elle se demandait
comment retrouver les restes de son époux. Elle s’assit sur une pierre
et se mit à pleurer. Le mur fut ému par ce chagrin et il s’écroula
laissant apparaître les os de Wan.
L’empereur ne fut pas long à apprendre ce
qui était arrivé à son mur et l’histoire de la femme qui avait cherché
son époux par monts et par vaux. Il vint en personne voir Meng Zhang
et lorsqu’il s’aperçût de sa beauté, il lui demanda de devenir
l’impératrice. Meng Zhang savait qu’elle ne pouvait résister à la
volonté de l’empereur. Elle posa diverses conditions pour cette union
: une fête des morts de quarante-neuf jours devait être célébrée à la
mémoire de son époux, l’empereur et les tous les fonctionnaires
devaient prendre part aux funérailles, une terrasse devait être
construite sur les rives du fleuve car elle voulait offrir les
sacrifices aux morts en souvenir de son époux défunt. L’empereur
accéda à ses demandes car il souhaitait vivement qu’elle devienne son
épouse.
Lorsque la terrasse
fut prête, Meng Zhang monta sur la terrasse et maudit à haute voix
l’empereur Shi Huang d’avoir été si cruel et si injuste. L’empereur
contint sa colère et ne dit rien. Les sujets qui entendaient ses
paroles étaient stupéfaits mais au fond d’eux ils trouvaient que les
paroles de Meng Zhang étaient justes. Lorsqu’elle eût terminé sa
tirade, Meng Zhang plongea du haut de la terrasse dans le fleuve.
L’empereur entra dans une colère terrible et il ordonna à ses soldats
de repêcher son corps et de le couper en petits morceaux. Lorsque les
soldats l’eurent fait, tous les morceaux se transformèrent en poissons
d’or et en ceux-ci l’âme de la fidèle Meng Zhang continue à vivre pour
toujours.