LA LÉGENDE
DU COCOTIER
Dans
le district de Tererauta vivait, il y a bien longtemps, une jeune
fille dont la beauté faisait l’orgueil de ses parents. Ses yeux noirs,
les lignes harmonieuses de son corps brun, la souplesse de sa taille,
et surtout la soie de ses longs cheveux la rendaient la plus jolie
fille de nos îles. Quand elle atteignit l’âge de seize ans, son père,
qui était le chef du district, résolut de la marier...
Il se mit à
chercher un époux digne de sa fille. Quand le jour de ses noces
arriva, Hina, c’est ainsi qu’elle s’appelait, Hina ne savait encore
rien de son promis, sinon qu’il était du district lointain de Teretai.
Mais quand son père
vint la chercher pour lui présenter son époux, elle faillit s’évanouir
de terreur, en voyant une immense anguille, au corps gigantesque et à
la tête énorme : c’était le prince des anguilles.
Hina, épouvantée,
s’enfuit dans la montagne et atteignit le district d’Aketura. Trouvant
un fare, vide, caché sous de grands aito, elle s’y réfugia.
Or, c’était la
maison du dieu Hiro ; et celui-ci, en revenant de la pêche, fut ébloui
par la lumière éclatante qui auréolait sa case. C’étaient les cheveux
d’Hina, qu’un rayon de soleil avait frôlés et qui brillaient ainsi. La
jeune fille raconta au dieu sa terrible aventure, et celui-ci accepta
de la cacher pendant quelque temps.
Mais l’anguille,
attirée elle aussi par l’éclat des cheveux de la jeune fille, arriva
bientôt au voisinage de la case du dieu. D’un coup de sa queue
puissante, elle ouvrit dans le récif une large brèche, qu’on appelle
aujourd’hui la passe de Tapuerama.
Le dieu Hiro,
alerté, prit un long cheveu d’Hina, y attacha un hameçon de nacre et
pêcha la monstrueuse bête. Quand il l’eut tirée sur le rivage, il la
coupa en trois morceaux.
La tête vint tomber
aux pieds de la jeune fille et lui dit :
- Tous les hommes qui me détestent, et toi la première, Hina, un jour,
pour me remercier, vous m’embrasserez sur la bouche. Je meurs, mais ma
prédiction, elle, est éternelle.
Hiro, sans perdre
de temps, enveloppa la tête avec des feuilles de bananier et tendit le
paquet à Hina :
- Hina, fille de beauté, tu peux retourner chez les tiens, et là-bas,
tu détruiras cette tête. Mais tout au long de ta route ne la pose
surtout pas à terre, car alors la malédiction de l’anguille se
réaliserait.
Et Hina,
accompagnée de suivantes offertes par le dieu Hiro, s’en retourna à
Tererauta. Mais la route était longue et le soleil brûlait le chemin.
Elles arrivèrent au bord d’une rivière. L’eau était fraîche et claire,
et les jeunes filles décidèrent de s’y baigner.
Hina, oubliant le
conseil du dieu, posa son paquet à terre afin de rejoindre ses
compagnes. Aussitôt, avec un bruit sourd, la terre s’ouvrit et
engloutit la tête de l’anguille morte... Et surgissant de la faille
qui se refermait déjà, un arbre apparut et se mit à grandir, grandir
démesurément.
C’était un arbre
étrange, tout en tronc, avec une touffe de feuilles au sommet. On
aurait dit une immense anguille dressée, la tête vers le soleil. Le
premier cocotier venait de naître...
Hina, qui avait
désobéi, fut condamnée par les dieux à vivre auprès de la rivière et
l’arbre fut tabou. Défense absolue à quiconque de s’en approcher et
d’en manger les fruits.
Quelque temps
après, Hina épousa un jeune pêcheur qui vivait à l’embouchure de la
rivière. Le couple eut une fille, jolie comme un rayon de soleil sur
la rosée du matin. Mais leur bonheur dura peu : quelques mois plus
tard, le jeune homme vint à mourir. Hina se remaria avec le frère de
son premier époux. Une autre fille leur naquit, belle comme le soleil
qui se couche sur la mer.
Les deux fillettes
grandirent ensemble et s’aimèrent comme deux enfants de même père et
de même mère. Les années passèrent, mais le nouveau bonheur de la
pauvre Hina allait encore lui être enlevé. Un jour, malgré la formelle
interdiction, les deux fillettes voulurent goûter aux fruits étranges
de l’arbre long et grêle qui poussait près de leur case.
Hélas ! les dieux
veillaient et les deux coupables furent transformées en nuages et
transportées au-dessus de la mer. Les anciens disent que ce sont les
deux nuages roses que l’on voit toujours, par beau temps, au-dessus de
l’atoll de Hanaa.
Les jours passèrent
encore, et une grande sécheresse vint bientôt détruire toute
nourriture et toute eau douce. Seul le cocotier résista au soleil et,
malgré la défense des dieux, les hommes recueillirent ses fruits, qui
contenaient une eau douce et claire, légèrement sucrée. Ils virent que
chaque fruit, de la taille d’un gros melon, était marqué de trois
taches sombres disposées comme des yeux et une bouche... et pour boire
cette eau, il leur fallut coller leurs lèvres contre ce dessin de
bois.
Et Hina fit
comme les autres, sans se rendre compte que la prophétie venait de
s’accomplir.